S2. Jour 45. La voie royale.

Tineo-Borres 16km. Cumul : 938 km.

Petite étape de transition avant de se lancer demain, normalement, sur les pentes de « L’hospitalet » et d’atteindre le point culminant du Primitivo. Les Asturies sont de belles moyennes montagnes. On arpente une  campagne très verdoyante dont se dégage une impression paisible. Les bâtisses agricoles manquent un peu de caractère malgré leurs greniers typiques, les fameux « horréos ». Dans le cadre de la grande fenêtre baie vitrée du gîte La Montera c’est un joli tableau que je contemple : damiers de parcelles vertes, haies et bosquets qui structurent la composition, crêtes ondulantes en fond de paysage surlignées par intermittences d’une chevelure d’arbres ou… d’éoliennes.

Au seul café sur notre route ce matin, j’ai craqué pour un gris-gris à ajouter sur mon sac : un porte-clés « flèche jaune » où est inscrit le fameux « Buon camino », ce gentil encouragement de rigueur sur le Chemin. C’est la tradition. L’autre jour même un tout petit gamin sur un minuscule vélo s’est arrêté à côté de moi pour me lancer l’expression rituelle. C’était mignon.

J’espère que mes trois chers « mousquetaires » ne m’en voudront pas. Nous avons créé hier soir, avec Patrick, Alain, et Emmanuel (le Mexicain) un nouveau quatuor pour un compagnonnage sur ce Primitivo. Naturellement j’ai cherché un nom pour notre groupe Whatsap. Je suis donc aimablement et utilement entouré désormais par ces trois pèlerins avec lesquels nous formons « Les Beatles du Primitivo ». J’ai hérité du rôle de Ringo Star, le batteur marrant et cool. Ça me va bien. Moins de pression que le flamboyant héros D’Artagnan. Je me laisse à ce stade volontiers guider et Emmanuel-John nous rend de grands services pour réserver les gîtes à venir. On est calés jusqu’à Lugo. Pour autant bien sûr nous marchons à nos rythmes variés et on se retrouve sans avoir à se le dire à la pause café de la matinée. Je suis bien content de la constitution de cette nouvelle petite bande, même pour quelques jours seulement. Hier soir nous avons passé un très bon moment dans un restau très typiquement local. J’y ai bu du vin-limonade (l’équivalent en France du « vin limé », m’a appris Patrick-Paul).

Nous sommes donc quatre garçons dans le vent du Camino. Encore de riches rencontres. Où est-ce aussi naturel que sur ces chemins vers l’étoile de Compostelle ?

En parlant d’étoile, mon juke-box intérieur m’envoie dans la tête depuis plusieurs jours dès le matin une chanson de Sheila (ma génération connaît, les autres n’ont qu’à chercher) : « Comme les rois mages/ En Galilée/ Suivaient des yeux l’étoile du berger/ Je te suivrai, ou tu iras j’irai/Fidèle comme une ombre jusqu’à destination ». Même si j’ai de plus en plus le cerveau lent je trouve que celui-ci ne manque pas de pertinence en l’occurrence en allant cueillir dans ma mémoire ce tube des années 70. Sur ce chemin nous sommes un peu ces rois-marcheurs guidés par le champ d’étoiles de Santiago, obstinés jusqu’à destination. Ah non mince : les rois sont trois, nous sommes quatre ! Seule solution : ajouter le chameau. Comme je le fais chaque année dans ma crèche à l’épiphanie.

En attendant de savoir lequel d’entre nous pourrait être l’animal porteur, je retourne à la fenêtre du gîte, comme un vieil homme devant son paysage quotidien. Tiens, là-bas, sur un bout de chemin que l’on voit entre deux bouquets d’arbres, un pèlerin avance lentement, avec obstination, vers sa destination, vers l’étoile de Compostelle. Même s’il est comme le chameau, chargé  de ses fardeaux à l’intérieur et de son sac sur le dos, son pas est royal.

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La vérité du monde

Dans ce seul brin d’herbe

Que le vent fait danser