Ferreira-Boente 28 km. Cumul : 1126km.
Pourquoi ? La question revient toujours, avec insistance. Ceux qui ne connaissent pas le Chemin la posent inévitablement au pèlerin, mais les cheminants se la posent aussi entre eux, comme si parfois ils cherchaient chez l’autre une réponse qu’ils n’ont pas. Ils mettent en commun leur perplexité.
Je mets à part ceux qui se lancent sur un Camino pour des raisons particulières, la plupart du temps un événement marquant (par exemple une rupture affective ou professionnelle, ou une maladie…), un moment particulier de leur vie. Quand ce n’est pas le cas, alors pourquoi accepter ces efforts, cet inconfort, ces douleurs parfois, la pluie, les chemins difficiles ?
Aujourd’hui dans cette étape plutôt tranquille bien qu’encore ponctuée de quelques averses, Emmanuel s’interrogeait à nouveau. On a mis en commun nos réponses. L’échange fut riche en références culturelles, comme depuis le début avec ce nouvel ami mexicain. Nous donnons parfois la même citation au même moment. J’ai peut-être rencontré le Mexicain le plus cultivé et le plus francophile !
Nous avions déjà abordé le sujet. Nous voulions aller à l’essentiel. J’ai d’abord tenté une réponse logico-mystique : pour rien, donc pour s’approcher du tout. Il n’était pas l’heure de creuser cette piste taoïste. Il fallait être plus simple. J’ai convoqué la « Philosophie » du chanteur Georges Moustaki : « Nous avons toute la vie pour nous amuser/Nous avons toute la mort pour nous reposer ». A quoi Emmanuel a répondu par un dicton espagnol : « Para descansar la tumba »(pour te reposer il y a la tombe). Nous avons convenu que c’était une réponse somme toute assez satisfaisante mais qui a le défaut de s’appliquer à beaucoup d’activités, et ne rend pas assez compte de la spécificité de la pratique de la marche, sur un temps long, sur de tels chemins de « pèlerinage ». J’espère avoir tout de même montré ces particularités du « Camino » tout au long de ces chroniques quotidiennes… Chacune a été une réponse à cette question clé, évoquant les moments de grâce, de doutes, de réflexion, les rencontres, les défis physiques et mentaux etc…
Parce que s’il ne s’agit que de se « fatiguer » avant l’éternel repos, ou bien de « s’amuser », il y a bien d’autres manières de le faire. Toutes se valent-elles ? Autant choisir celles qui semblent nous mener vers le fameux « essentiel ». Pour cela Compostelle est à la fois la question et la réponse.
Avec Emmanuel aujourd’hui nous avons aussi évoqué des sentiments plus personnels sur nos vies, comme avoir des regrets ou non par exemple. Il en exprime certains. Moi je sais en tout cas que je ne regretterai pas un seul jour de ma vie où j’ai marché. Et encore moins pas un seul pas de tous ceux qui m’ont mené à Compostelle.
Mes chaussures Hoka auront finalement tenu le coup jusqu’au bout, alors que j’en doutais dès le 15 e jour (à Cahors). Je leur ai déjà rendu hommage (voir Jour 29). Après tous ces jours elles méritent désormais toute ma reconnaissance.
Certes elles sont bien fatiguées. Normal. On a beau être poète, parfois même « homme aux semelles de vent », on n’en est pas moins homme, aux semelles qui s’usent.
Il y a quelques années déjà je me suis amusé à écrire mon épitaphe : « Il a vécu sans pantoufles/ Mais il a usé/ Beaucoup de semelles ». Je ne savais pas alors que le Camino m’en apporterait une si évidente illustration… Pourquoi aller sur les chemins de Compostelle ? Pour user mes semelles. Et en plus ça rime ! Le poète sourit…
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Un peu désemparé
Le pèlerin
Proche de l’arrivée
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