S2. Jour 54. L’arrivée.

O Pedrouzo- Santiago 21,5km. Cumul 1175 km.

J’avais pensé que les Beatles du Primitivo pourraient faire cette dernière étape tous ensemble. Mais une fois encore nos rythmes ne se sont pas accordés. De toute façon le temps était venu de la dissolution du groupe. Une bien belle aventure,  J’avais prévenu que je marcherais très lentement pour prendre conscience le mieux possible de ce moment particulier : la fin du Camino. Si je ne suis pas capable de ralentir le pas pour dilater le temps après 1200 km sur le chemin je pense qu’il y a une leçon que je n’aurais pas comprise.

Je suis donc allé à petite allure au milieu de cette foule de « pèlerins » de toutes sortes qui avancent dans ces derniers kilomètres en formant une sorte de rivière humaine venant se déverser dans la vieille ville de Santiago.

Devant une église où j’ai tamponné ma Credenciale pour la dernière fois, j’ai acheté à Juan-Carlos, voix cassée et tignasse de lion, une petite « sculpture »en fil de fer plié représentant un pèlerin et… un escargot.  Ce sera je pense un de mes souvenirs fétiches du Camino .

L’an passé j’étais parti de nuit et arrivé très tôt un jour pluvieux.

Je suis arrivé aujourd’hui à 13h et il faisait très beau. Au Monte Gozo j’ai pris le temps pour faire le détour vers les deux grandes sculptures en bronze que je n’avais pas vues l’an dernier : deux pèlerins saluent la ville qu’ils aperçoivent enfin du haut de cette colline, après tant d’efforts consentis.

J’ai été doublé par un jeune couple qui a aussi fait le Primitivo, croisé à de multiples reprises sur le chemin, aux pauses, dans les dortoirs. Nous n’avions échangé aucun mot, juste sourires et petits signes de la main.

Ils étaient dans leur bulle. Ils riaient beaucoup. Je les imaginais jeunes mariés. Ce n’est qu’aujourdhui, dans ces derniers kilomètres et loin des pentes rudes des Asturies, que j’apprends leurs prénoms. René est allemand, Natalia est russe. Je risque la question : « Are you married ? ». Oui, depuis trois mois…

A la pause café, ils sont encore là quand j’arrive. Je les laisse. La blonde Natalia vient à ma table, pose un petit pins-pèlerin devant moi et dit : « c’est pour vous, pour vous porter bonheur ». Comme l’avait fait Vanessa… Le Camino c’est le chemin des bonnes intentions. Il ne faut pas négliger cette forme d’énergie invisible.

A l’entrée dans la ville je fais un selfie avec une italienne déjantée qui célèbre son arrivée en chantant et en dansant avec son bâton-bourdon.

Un kilomètre avant l’arrivée je suis cueilli  par surprise ( je les croyais plus loin) par mes trois anges gardiens venus d’Aix en Provence.

Quel plaisir que ces retrouvaillles !

Nous entrons ensemble dans la vieille ville. Quinze minutes plus tard  je lève  les bras et mes bâtons devant la cathédrale. Ému, fier, serein.

Ce lieu est magique. J’allais partir quand j’ai décidé de rôder encore un peu parmi tous ces arrivants mélangés. Emmanuel était là. On ne pouvait pas se quitter ainsi, sans que je le remercie pour l’élégance de sa bonne compagnie. Je n’ai pas revu les deux autres Beatles, arrivés très tôt, mais Alain m’a téléphoné l’après-midi. Je les reverrai peut-être demain.

A partir de là les trois anges gardiens se sont occupés de tout.

J’ai de la chance. J’ai été comme un kidnappé volontaire. Nous avons rejoint en voiture notre logement pour deux nuits.

Santiago, sa Cathédrale, cette fameuse esplanade, marquent selon moi la fin naturelle du pèlerinage, quel que soit le sens qu on lui donne.

Je ne suis pas très convaincu par la « suite » vers Fisterra présentée souvent comme une autre (voire la seule) « fin ». Je l’avais négligée l’an dernier, après 75 jours de marche. J’irai cette année jusqu’à cette « fin de terre » mais le pèlerin va pour cela céder sa place au touriste.

Fin d’un deuxième Camino. Que ferai-je l’année prochaine ? On évoque  parfois (et on constate) une « addiction » au Chemin.

Les exemples sont nombreux. Emmanuel en est un. Il serait très incohérent que le Camino devienne une dépendance.

De toute façon, il est possible que ce soit Mister P. qui décide. Il n’a pas beaucoup parlé ces derniers temps mais il a son mot à dire. Lui aussi il est arrivé pour la deuxième fois à Santiago…

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