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Jour 57. Mes pieds socratiques.

Fromista - Carrion de Los Condes 22 km. Cumul :1259 km.

Ce Camino Frances est décidément bien déstabilisant. On ne sait jamais à quoi s’attendre, malgré la routine apparente de la marche quotidienne et l’enchaînement des étapes. En fonction de notre état du moment on est bousculé par des hauts et des bas, montagnes russes sensorielles et émotionnelles. Ne nous en plaignons pas. Je ne suis pas venu chercher un long chemin tranquille.

Ce Camino Frances, quoi qu’on en pense, a du caractère. Il nous propose chaque jour de nouveaux défis, et nous fait constamment sortir de notre fameuse « zone de confort ». Je commence à prendre conscience, peut-être parce que j’aborde la « dernière ligne droite » (des centaines de Km tout de même…), de tout ce que cette aventure représente, de toutes les traces qu’elle va me laisser, de toutes les leçons que je vais en tirer.

Ce matin je suis parti avec une paire de chaussures « de rando » très rigides ( semelles Vibram) trouvées au gîte dans la boîte des objets oubliés ou donnés par les pèlerins. A ma taille. J’ai cru y voir un nouveau signe du destin compostellien et sans souci d’incohérence par rapport à mon choix de marcher en sandales, j’ai tenté le changement. Sait-on jamais ? Hier, mes talons étaient très douloureux. Tout doit être essayé. A la première pause, après 14 km, j’ai remis mes sandales…

Mais en arrivant à Carrion de Los Condes je vois (par hasard?) une petite affiche publicitaire d’un magasin de chaussures qui vante  une marque espagnole  découverte à Burgos. Un autre signe ? Sans le chercher je passe devant ce tout petit magasin où s’entassent les boites à chaussures en piles prêtes à tomber. Une 3 eme paire de sandales, maintenant, est-ce raisonnable ? Je le fais au feeling. Il faut que je fasse quelque chose. Il me reste tout de même encore environ 500 km jusqu’à Fisterra. Je dois me rassurer. C’est comme avoir deux roues de secours au lieu d’une. C’est peut-être ridicule mais c’est comme ça. J’achète donc des sandales mais « fermées «  devant, de cette marque (Chiruca) très réputée en Espagne. J’aurai ainsi encore une autre alternative.

Tout cela peut sembler très anecdotique, bien sûr, mais révèle un élément capital du Camino : il nous met dans des situations où nous n’avons plus de certitudes. Chaque jour tout est remis en cause. Comment va se passer l’étape? Comment mon corps va-t-il réagir ? Quels problèmes vais-je devoir affronter ?

Tout voyage, toute aventure, pose ces mêmes questions. Et bien sûr chaque jour aussi de la vie ordinaire.

Ce que le Camino a de particulier c’est que derrière son apparente simplicité (il suffit de marcher… longtemps… en suivant des flèches jaunes) il se révèle très complexe à maîtriser. Notre expérience, de marcheur par exemple, ne suffit pas, et il faut parfois laisser parler notre intuition, écouter notre corps d’une manière très fine, oser l’irrationnel, accepter l’incohérence.

Après Bernard le guérisseur j’ai soumis ce soir mes talons à Serge, un Français qui vit sur le Chemin qu’il parcourt en tous sens en ramassant les déchets. Il soigne par imposition des mains et par des prières.

Il serait plus rationnel d’utiliser des anti-inflammatoires ? Probablement. Mais ici cela ne me gêne pas d’accepter d’oublier tout ce que je sais, d’accepter de tout remettre en question, d’accepter d’être déstabilisé. Ce n’est pas la moindre leçon du Chemin, et que ce soient par nos pieds (valeureux, douloureux, courageux) que nous l’apprenions  n’enlève rien à l’importance de ce précepte essentiel, et qui est en fait très ancien : « Ce que je sais de plus, c’est que je ne sais rien ». Mes pieds, en fait, sont disciples de Socrate !

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Il préfère être seul 

Cet oiseau sur un fil

Entre champ et ciel

 

Commentaires

  • Toujours de très beaux textes ! Merci

  • Gestion, Errance, Réflexion, Balade, Arriver, Liberté
    tout est en toi

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